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Depuis Paris, je rejoins Damily et Yvel déja à Tuléar. Ils y ont loué une maison dans laquelle nous pourrons nous retrouver avec Brice, l’ingénieur du son, afin de préparer la mise en place du projet avant de nous rendre à Tongobory.
Sur place, un acteur imprévu s'invite au scénario, Freddy, cyclone aux effets incontrôlables venant menacer le projet.
La maison dans laquelle nous sommes prend l'eau. Petit à petit l'espace vivable s'y réduit, l'eau monte et il faut se rendre à l'évidence, il va falloir quitter le navire.

Faut-il abandoner le projet ? faut-il filmer ? Pour agir plutôt que de céder à l'état de déception, faut il succomber à la tentation de repenser le scénario en orientant l'écriture vers un "film catastrophe" ?
Le film commence à un moment où nous avons déménagé au sec dans une autre habitation. Nous attendons Brice, l'ingénieur du son bloqué à la capitale Antananarivo (1000 km de Tuléar). Les avions ne partent plus. Nous sommes de notre côté coincé à Tuléar les routes n'étant pas praticables pour se rendre à Tongobory, lieux de la cérémonie.
Le temps en suspend et l'incertitude perssistant, je décide de prendre la caméra, ne serait-ce que pour tromper le stress et l'angoisse de la situation.
Finallement nous partons. Planning et organisation chamboulés, scénario initial inadapté, l'écriture filmique sera guidée par l'urgence et l'improvisation. Il s'agirat de saisir un moment, une expérience partagée sans en matriser les tenants et aboutissants.
Si l'urgence et la précipitation sont un réel obstacle à mon projet de film, amoindri par le temps long qui lie un anthropologue à son terrain (cf. note sur le "cinema de checheur" et la particularité du temps long dans la démarche anthropologique) l'improvisation est, elle, en adéquation avec ma conception de l'anthropologie audiovisuelle.
La démarche qui m’intéresse lorsque j’utilise l’audiovisuel et que j’ai adoptée pour ce film est de penser à ce que le fait de faire un film peut apporter de différent de l'écriture d' un ouvrage ou d'un article.
Pourquoi mobiliser une écriture « alternative » ?
Notamment pour saisir le sensible, l’organique et les interactions en acte. Il s'agit de concevoir le film comme une « mise à disposition sensible du sensible, d’une présentation perceptible du perçu, enfin d’une approche visible et audible des sentiments et des relations. » (Piault, 2018, p. 134).
Quoi qu'il en soit, je ne concevais pas ce film comme un « documentaire » au sens d'un document ayant pour visée la diffusion d’un savoir, la transmission pédagogique d’un sujet délimité. Il ne s'agissait pas de faire un film sur la musique tsapiky de la région de Tuléar dont Damily est porteur, ou encore sur les cérémonie de funérailles ou le lien aux ancêtres à Madadagascar. L'idée, dès le départ, était celle d'un film qui réstitue une expérience partagée, des relations, et qui tente d’engager une ou des réflexions. Un film d’anthropologie audiovisuelle, d’ethnomusicologie, un film de recherche. Non pas un film qui viendrait « illustrer » une réflexion mais un film envisagé comme le point de départ d'une réflexion, d’articles, ou encore d'un site internet...
Ce film est donc le fruit d’un tournage, et donc déjà d’une écriture, qui mobilise des procédés et une posture, à la fois choisis et contraints, d’« improvisation ».
Cette posture que l'on peut rapprocher du « cinema direct » est, entre autre, perseptible dans le charactère quasi "tourné monté" du film qui implique une "écriture" particulière au tournage comparable à l’improvisation « Jazz » :
Il s'agit entre autres de
- suivre une "grille", un guide, des règles tout en gardant la possibilité de s'en écarter en fonction du contexte de performance
- ûtiliser un instrument (la caméra) et le matriser le mieux possible afin d’avoir une liberté de choix plus grande sur ce que l’on peut capter en fonction des conditions
- ûtiliser des techniques, cadre, focale, diaphragme, tout en gardant une concentration disonible pour saisir ce qui est en train de se passer et comment le restituer par le film
Quand les conditions sont difficiles, la technique prend le pas sur la « liberté » d’improviser et la naration visuelle
- exprimer des codes, partage d'un "langage cinématographique", communs : cadre, flou d’arrière plan, bougé de caméra ou non, apport d'un sentiment de subjectivité vs plans larges etc.
- mobiliser une grammaire du cinema mais aussi de l’« autre » et dans ce cadre :
- s’adapter, suivre l’évènement, les interactions. Comme en jazz il s’agit de construire son "discour", son « écriture » mais sans cesse à l’écoute/observation de l’autre; en interraction, et ce doublement : comme le soliste vis à vis des autres musiciens avec qui il performe (la captation, sorte d'écriture instantanée) et comme le musicien en relation avec son public (écriture du futur film).
Cette "écriture" nécessite un état d' empathie, de concentration intense (cf. ciné-transe de J. Rouch). Le regard et l’oreille viennent improviser comme un chorus de piano c.a.d s’appuyer sur une grille pour construire un chemin, du mouvement, qui viendra restituer une expérience.
Il s'agit notamment de chercher un équilibre très fin entre être "dans le rythme", suivre ou trouver un tempo commun, et faire ressentir son "regard", ce que l'on voudrait montrer.
Dès cette étape d'écriture, le chercheur se trouve pris dans une posture en tension, une façon de filmer qui oscille entre capturer ce qui pourra produire de l’information scientifique ou saisir du sensible.